- C’est Nooooëëëëëël ! Alors joyeux Noël à tooouuuus !

Le cri, à la limite du beuglement, retentit dans toute la rue, brisant le silence et la douce quiétude qui régnait dans le quartier de Feathers Road en ce matin du 25 décembre 2010.
Et celui qui venait de hurler ainsi - alors qu’il était cinq heures du matin et que la plupart des habitants devaient roupiller tranquillement - se tenait à la fenêtre de sa chambre, encore en pyjama, un sourire jusqu’aux oreilles et nullement gêné d’avoir à coup sûr réveillé tous les Esplumoiriens à deux kilomètres à la ronde. Se penchant un peu par l’ouverture, il prit une grande inspiration, histoire que l’air glacé finisse de le réveiller totalement.
Il referma ensuite la fenêtre sans se presser, juste à temps pour que la pantoufle sûrement lancée par un voisin mécontent s’écrase sur la vitre plutôt que sur son visage.
Loin de l’inquiéter, la vue du chausson fit s’élargir encore son sourire.
Luca s’était réveillé il y a quelques minutes de bonne humeur, et quand il était de bonne humeur, tout le monde le savait ! Enfin, ce n’était pas non plus dans ses habitudes de beugler par la fenêtre, mais aujourd’hui il en avait eu envie. Et comme c’était Noël, il estimait avoir le droit de satisfaire ses envies, même si elles étaient un peu loufoques.
S’étirant et baillant une dernière fois, il se dirigea vers le petit escalier un peu tordu qui lui permettait de passer de son salon à sa chambre. Tout en descendant, il se demandait à qui il allait bien pouvoir offrir les cadeaux qu’il avait acheté. Parce que Luca avait une habitude, c’était d’acheter des cadeaux dès qu’il trouvait quelque chose qui lui plaisait, sans même savoir quand et à qui il les offrirait. Et le jour de Noël, il sortait avec sa sacoche remplie de petits cadeaux, et les distribuait un peu sur des coup de tête. Bizarre, bizarre, hein ?
Enfin, c’était sa manière de marquer l’évènement.
Noël sur Esplumoir n’était pas toujours un moment agréable. Cela réveillait les souvenirs des Noëls d’avant, les Noëls en famille, avec ses parents, ses grands-parents et tout et tout. Le plus souvent, c’était à cette occasion que l’on réalisait tout ce que l’on avait perdu juste à cause d’une petite lettre. Il n’était pas rare de trouver sur l’île le 25 décembre plus de pleurs que de rires et de sourires.
Les premières années, Luca pleurait ce jour là, et restait ensuite inconsolable pendant un bon bout de temps.
Mais sa nature optimiste avait repris le dessus et désormais, il se fixait la mission de faire sourire le plus de gens possible.
Mais aussi enjoué soit-il, il avait toujours un pincement au cœur quand il apercevait son petit sapin sans le moindre petit cadeau en dessous… … …
Luca s’arrêta net au milieu de sa réflexion. Parce qu’en dessous du sapin qui trônait fièrement dans son salon, il y avait… un cadeau.
Sa première réaction fût très pragmatique : comment est-ce que quelqu’un avait pu s’introduire chez lui ? Il vérifia rapidement sa porte, qui était bien fermée, et fit un rapide tour de maison qui lui confirma que toutes se fenêtres étaient fermées. Bon. Il résoudrait le mystère plus tard.
Retournant vers le sapin, il s’agenouilla à côté de l’arbre et regarda plus attentivement le paquet. Un emballage tout simple, rouge, sans motifs, et dépourvu de la moindre indication sur son destinataire. Enfin, vu que c’était au pied de son sapin, c’est bien que à lui que ça devait être destiné. La cadeau était de taille moyenne et avait la mollesse d’un vêtement.
Après l’avoir palpé et retourné dans tous les sens, Luca se décida enfin à l’ouvrir.
Ce qu’il découvrit alors le renvoya illico 11 ans en arrière.

- Papa, pourquoi on met toujours nos chaussons au pied du sapin ? ça fait moche.
Dans trois jours, c’est Noël. Petit Luca, 6 ans, contemple d’un air dubitatif le sapin un peu trop décoré qui se dresse dans un coin du salon, juste à côté de la cheminée. Son père, en train de regarder la télévision, tourne la tête pour lui répondre :
- Normalement, c’est pour que le Père Noël puisse y mettre les cadeaux.
- N’importe quoi, c’est trop petit !
- Oui, c’est vrai… Je crois qu’au départ, la tradition c’était de mettre une grande chaussette pour y déposer les cadeau. Et puis petit à petit, les chaussettes se sont transformées en chausson, va savoir pourquoi… Enfin, je ne suis pas très sur de moi…
Luca réfléchit un instant. L’idée lui plaît bien. Un sourire se dessine sur ses lèvres.
- Et pourquoi on fait plus ça ? J’aimerais bien, moi ! Un chaussette géante ! Je pourrais même me cacher dedans pour espionner le Père Noël !
Luca sens qu’on l’attrape par derrière. C’est sa mère qui le soulève et lui ébouriffe les cheveux.
- Hum, une chaussette géante ? C’est une drôle d’idée, mais qui sait… Mais en attendant, c’est l’heure de se coucher !
Cette nuit-là, Luca rêve qu’il habite dans un maison en forme de chaussette. Quelqu’un sonne à la porte, il va ouvrir et se retrouve face au Père Noël. Au moment où il ouvre la bouche pour lui dire bonjour, le Père Noël disparaît et un flot de cadeau commence à se déverser dans la maison-chaussette, apparaissant d’on ne sait où, et Luca commence à nager dans une mer de cadeaux…

- Allez Luca, si tu veux que le Père Noël passe, il va falloir aller te coucher.
Luca est en train de regarder les Barbapapa, et il n’a aucune envie d’arrêter. Il se contente de grogner en guise de réponse.
- Si, si ! En plus, j’ai une surprise pour toi.
Le mot magique a été prononcé. Luca laisse tomber illico les Barbapapa pour se précipiter vers sa mère. Cette dernière a les yeux pétillants. Elle sort de derrière son dos ce qui ressemble à première vue à un simple tas de tissu. Mais quand elle le déroule… Luca découvre avec ravissement une chaussette. Une chaussette ENORME ! Rouge, avec un bord blanc et de nombreux motifs, et les lettres LUCA cousues dessus, elle est suffisamment grande pour qu’il puisse se cacher totalement dedans. Avec un cri de joie, il se jette dessus. Elle est toute douce, en feutrine, mais néanmoins solide. Il se glisse dedans et commence à se tortiller, tel une chenille dans son cocon.
- Je veux espionner le Père Noël avec ! Je vais dormir dedans cette nuit.
Et à force d’insister, ses parents acceptent qu’il se couche dans sa chaussette, au pied du sapin. Lorsqu’il sombre enfin dans un profond sommeil peuplé de chaussettes géantes, ses parents le portent dans son lit.
Et le lendemain matin, la chaussette déborde de paquets.

Les années suivantes, Luca et ses parents conservèrent le même rituel : le garçon s’endormait dans la chaussette, se réveillait dans son lit et découvrait avec bonheur les cadeaux enfouis dans l’immense vêtement le lendemain matin.
Et là, Luca venait de découvrir LA chaussette en question au pied de son sapin. Elle paraissait un peu moins immense maintenant qu’il avait grandi, et les couleurs étaient un peu passées mais c’était bien la même. Un sourire naquit sur le visage du jeune homme.
Avec précautions, il se glissa dans la chaussettes, afin de retrouver toutes les émotions de son enfance. Couché au milieu de son salon, recouvert jusqu’à la taille par le vêtement, Luca resta quelques minutes à revivre les souvenirs de tous ses Noëls avant Esplumoir.
Puis, il se releva, plia respectueusement la chaussette et alla la ranger tout au fond de son armoire, se promettant de ne pas la ressortir avant le prochain Noël.
Parce que les souvenirs, c’était agréable à petite dose, mais on ne pouvait pas vivre que de ça.
Puis, il s’habilla rapidement, enfonça un bonnet de Père Noël sur sa tête, attrapa sa sacoche déjà toute prête et sortit en trottinant de sa maison. Il aurait tout le temps de découvrir qui était derrière ce petit cadeau inattendu, qui était suffisamment informé sur lui pour avoir connaissance de cette petite anecdote, et qui était assez puissant pour faire arriver sur Esplumoir un objet aussi difficile à trouver que cette chaussette. Peut-être était-ce une idée des Guardians, tout simplement. Mais pour l’instant, il avait décidé de laisser ces question de côté. C’est qu’il avait sa propre tournée à effectuer !
Justement, une gamine traînait au bout de la rue. Elle avait l’air d’errer sans but précis. Luca ne pouvait pas voir son visage d’ici, mais à sa démarche hésitante et un peu traînante, à sa manière de serre ses bras contre sa poitrine et de courber la tête, il devinait qu’elle était triste. Mais plus pour longtemps. Luca en action !
Il courut vers elle, une main dans sa sacoche à la recherche d’un cadeau, et posa l’autre main sur son épaule.
- Hé, petite ! Joyeux Noël !

FIN !

Spoiler:

Chez les Bloom, Noël était une tradition qu'on ne pouvait pas rater. Généralement, de la famille venait de toute l'Angleterre pour fêter l'évènement. C'était une occasion de se rapprocher, de créer des liens. Malgré qu'elle n'aimait pas son beau-père, elle essayait de se montrer particulièremen gentille ces jours-là. Son petit frère, toujours solidement accrochée à sa soeur protectrice. Becky passait alors sa main dans ses cheveux blonds afin de le rassurer.


Bien sûr, elle, avait vite perdue cette notion qu'ont les jeunes enfants de la réalité et du fantastique, deux choses unies pendant l'enfance. Oui, elle avait perdue la notion de magie.
Mais, ça ne la dérangeait pas. Elle était bien mature pour son âge.


Aujourd'hui, à Esplumoir, elle ne fêterait pas Noël.
Sa seule façon de le fêter étant de s'habiller dans une robe noire, le coup entourée d'une écharpe rouge, elle restait assise dans sa chaise longue à observer son sapin tout à fait spécial. C'était un petit sapin fait en verre, et elle rajoutait une bougie à l'intérieur, afin que sa couleur verte s'éparpille sur les murs de son petit appartement. Son Noël.
Toujours seule.


Elle enfila son épais manteau et sortit dans le froid hivernal. Les rues étaient vides, légèrement éclairées. Elle se dirigea instinctivement vers la place de la mairie. Un grand sapin avait été dressé en son centre et tout en haut une étoile de verre brillait de milles éclats. Les enfants de l'île observait cette merveille avec admiration. Elle paraissait bien petite à côté de ce géant d'aiguilles.
A son pied, on pouvait trouver toutes sortes de cadeaux. Des gros, des petits, des colorés, des unis, des simples, des tordus. Elle tourna autour de l'arbre majestueux, tout en regardant les noms inscrits sur ces paquets. Certains prénoms lui étaient connus.

Elle s'arrêta soudain devant un paquet qui portait le nom de "Becky Bloom". Son coeur fit un bond dans sa poitrine. Avait-on pensé à elle ? Non. C'était une blague. Elle regarda aux alentours, afin de trouver ces petits farceurs. Personne ne semblait la regarder. Etrange.

Elle se pencha, prit le paquet entre ses mains glacées et rougies par le froid. Puis, elle chercha du regard un endroit tranquille où l'ouvrir. Là-bas, un banc vide. Elle s'y assit et commença à déchirer le papier coloré. Voilà longtemps qu'elle n'avait pas eu cette sensation de déchirer l'emballage d'un cadeau. Doucement, elle sortit son contenu et jetta le reste inutile dans la poubelle à côté.


Elle le regarda longuement. Elle hésitait à l'ouvrir. Quel genre de secret pouvait-il renfermé ? Ne serait-il pas mieux de laisser là les choses qui ne doivent pas êre découvertes ? Après tout, elle était à peu près heureuse ici. Elle ne voulait pas se gacher l'existence. Par curiosité, elle l'ouvrit et le livre craqua doucement, comme un ouvrage neuf qui exhibe son étrange senteur de plastique et de colle. Première photo. Ses parents, tenant un poupon. C'était elle. Toute petite. Ils formaient encore un couple solide à l'époque.

Seconde photo, une petite fille, le pouce dans la bouche et la main accrochée au pan du pantalon de son père. A côté, la maman tenait un tout petit bébé. Son frère, Peter.

Quelques photos plus tard, qui décrivent les premiers pas de Peter. Les escapades de la fillette et de son petit frère. Deux petits démons, encore innocents.

Puis, comme un blanc qu'on jette sur une feuille noire, le père a disparu. Remplacé par un inconnu à la barbe hirsute, au regard bleu de glace, serrant sa mère affectueusement. Comme si il se l'était appropriée. La fillette est marquée de traits durs et impassibles. On ne la reconnait plus.

Changement de sujet, un article de journal. Mr Bloom, arrêté pour avoir vendu de la drogue et détourné de l'argent à son profit. L'enquête n'était pas encore assez approfondie et on ignorait encore si il serait incarcéré à vie.

Quelques photos plus tard, on découvre toujours la fillette, mais elle a grandi et a gardé cet air furibond. Son frère semblait plus doux, plus attendri, enveloppé d'un cocon de bonheur.

Une dernière photo, la pire de toutes. Son beau-père tient Peter dans ses bras, toujours avec son regard glacé. Et sa mère, elle, tient, un petit garçon. Un autre petit garçon. Un garçon inconnu. En second plan, derrière, on peut apercevoir un portrait. C'est celui de Becky, posé sur la cheminée. Elle ne sourit pas, elle regarde juste, sans fin.


Becky se leva du banc, regarda autour d'elle, avec le bouquin maudit sous le bras, et rentra chez elle. Une fois arrivée, elle enleva son manteau, attrapa l'album. Et elle le jeta contre un mur avec violence. Elle le ramassa et recommença jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus respirer. Jusqu'à ce qu'elle se noie dans ses larmes qui coulaient sur son visage ravagé par l'émotion. Jusqu'à ce que ses muscles l'interdisent de bouger. Jusqu'à ce qu'elle se couche sur le plancher, étouffant encore des sanglots, secouée par des spasmes de douleur.

Le livre, ouvert, dont ma converture abîmée, reposait dans un coin d'ombre de la pièce et elle le fixait avec haine. Elle se roula en boule, et finit par s'endormir, sous les lueurs vertes de son petit sapin en verre.

[Désolée de pas avoir fait un truc super joyeux, mais j'étais très inspirée sur ce thème là. Bref, merci d'avoir lu mon pavé XD]