"Un deux trois, tu ne m'attraperas pas. Mais suis les roses, qui pleurent, qui pleurent, qui pleurent, et tu me trouveras, dans cette allée bien morose."

Car là où se tenait Hye Mi, n'étaient que roses et ronces. Pieds nus, sous la pluie, trempée et souriante, la jeune fille fredonnait un air doux d'une voix mélancolique. Il était tard, très tard. Il n'y avait que cette symphonie des gouttelettes qui s'abattaient contre les vitres de verre de ce vieux bâtiment aux lierres grimpantes. Il n'y avait que ce vent qui s'acharnait contre les briques de cet endroit désormais désert. Car il était tard, très tard, et que peu de personnes osaient s'aventurer dans les rues en ces temps de guerre. Mais pour elle, intrépide, ou plutôt insouciante, ces querelles n'étaient d'aucune importance - les gens s'affrontaient et alors ? Qu'ils s'affrontent donc, qu'ils tombent dans l'oubli.

Hye Mi ne chantait plus cet air sinistre, elle fixait le sol, abattue. Que faisait-elle ? Elle n'en savait rien. Elle n'arrivait pas à gagner le sommeil. Elle sentait un danger grave s'approcher. C'était une sensation qui lui faisait froid dans le dos, qui lui arrachait un sourire qu'elle ne montrait que trop peu, qui lui transperçait la poitrine, qui troublait ses sens. Qui la hantait. Et elle n'avait personne à qui se confier. Les douleurs s'entassaient, couches d'amertumes après couches de détresse, et il n'y avait rien à faire. Absolument rien à faire. Alors, elle marchait, d'un pas lent, d'un pas trainant, elle marchait pieds nus, et suivait les sentiers perdus, comme elle en avait l'habitude lorsqu'elle était plus jeune. Et les sentiers l'avaient amené vers ce bâtiment, qui de nuit, donnait l'impression d'être une prison d'épines. Le danger s'approchait.

Elle se retourna.
Il y avait une silhouette qui l'observait au loin.

Peut-être que la silhouette ne l'observait pas en fait. Mais il y avait une silhouette, grande, ténébreuse. Elle connaissait cette silhouette. Des nuits durant, elle s'en était voulue d'être aussi naïve. De croire que tout irait comme elle le souhaitait. Qu'elle aussi connaitrait un jour une fin de contes de fées. Comme s'il y avait des fées et des princes charmants au coin des rues. Il n'en était absolument rien, et elle était presque reconnaissante envers cette personne, car sans elle, elle ne s'en serait probablement jamais rendu compte. Ironie du sort, puisque actuellement, il était l'une des personnes qu'elle détestait le plus. Elle le savait au fond d'elle, c'était un véritable sentiment de haine, haine contre lui d'avoir joué avec ses sentiments, haine contre elle-même d'être tombée dans son piège. Mais, son sourire demeurait sur ses lèvres. Les nuits à ses côtés n'étaient pas désagréables, elle se sentait moins seule. Et elle n'arrivait pas à lui en vouloir. Elle ne pouvait en vouloir qu'à elle-même. Et pourtant, des nuits durant.. c'est ce nom qu'elle a maudit. Andreas.

Etait-ce sa gentillesse qui l'empêchait de haïr réellement ceux qui lui faisaient du mal ? En tout cas, Andreas, elle ne pouvait pas. Impossible. Pourtant, elle ne l'avait jamais vraiment aimé. Lui non plus. Ni l'un, ni l'autre. Hye Mi croyait seulement qu'Andreas l'aimait, l'aimait bien. Parfois, elle essayait de se convaincre qu'elle savait d'avance ce qui se cachait derrière son caractère d'ange. Bien sûr qu'elle le savait, elle ne pouvait l’ignorer la nuit où il avait rejoint son lit. Mais la vérité, elle ne la savait pas. Elle ne voulait pas la voir. Alors peut-être allait-elle éclater sous cette pluie...

Approche donc. Tu ne m'attraperas pas.

« I need your love. I'm a broken rose
maichiru kanashimi your song
ibasho nai kodoku na my life
I need your love. I'm broken rose
Oh baby, help me from frozen pain
with your smile, your eyes,
and sing me, just for me »

♫

Il pleuvait, ce soir-là.

Ce petit crachat incessant avait gâché la journée pour beaucoup d'habitants sur l'île. Entre la précipitation pour échapper aux gouttes, les jeunes filles qui se plaignaient parce que leurs cheveux, qui leurs avaient pris un temps fou pour qu'ils aient une coiffure « à peu près » convenable allaient frisé ou prendre un mauvais plis, les hurlements de ceux qui s'amusaient d'un agréable jour de pluie après tant de jours de chaleur, et ceux qui n'appréciaient pas se faire arroser et pestaient contre le temps, l'île avait été remplie en rebondissement et divers comportement humain.

Après son travail, Andreas s'était installé sur un banc, une capuche pour se protéger, et avait admiré les multiples scènes le restant de son après-midi, faisait mine d'apprécier la compagnie des quelques passants qui s'étaient assis reprendre leur souffle, saluant plusieurs personnes qui étaient passées près de lui.
Rien de bien passionnant, en somme.

Maintenant que la nuit était tombée, il avait quitté l'Eden et prenait la direction du bâtiment fleuri. Il suivait quelqu'un. Une jeune fille blonde, totalement trempée, qui avançait, ou plutôt titubait, sans but. Elle chantait d'un air triste, s'il ne la connaissait pas aussi bien, il aurait pensé qu'elle était soule. Mais jamais Hye Mi Jung n'aurait bu une goutte d'alcool, du moins pas la Hye Mi qu'il connaissait.

Cette fille avait été un divertissement pendant un temps. Il avait apprécié sans présence au lit. Malheureusement cette sotte s'était imaginée qu'il l'aimait. Il avait donc décidé de lui montrer que ce n'était pas le cas et de lui révéler une partie de lui-même. Celle de débaucher, du séducteur sans scrupule. Depuis la jeune femme ne lui adressait plus la parole et semblait être entrée dans une sorte de torpeur presque suicidaire.

Non pas que cela inquiète Andreas. Au contraire, cela amusait le jeune homme.
Désireux de voir jusqu'où pouvait aller la dépression de la blonde, il multipliait ce qu'elle aurait pu prendre pour une humiliation. Un jour il lui lançait des sourires amicaux, affichait un air peiné, l'air de dire « tu me manques », pour l'ignorer totalement le lendemain, ou bienrépondre de manière froide, sèche. D'une façon qu'on n'imaginait pas Andreas Koller capable de répondre.
Puis, alors qu'il était en plein jeu et attendait le prochain round, là où il allait commencer à la taquinée plus encore, elle avait disparu. Enfin, disparu était un grand mot mais, elle ne sortait plus de chez elle. L'enfermement était donc la suite de sa dépression ? Intéressant.

Il s'était alors appliqué à autres choses, ne pensant plus tellement à elle, jusqu'à une heure plus tôt. Il l'avait aperçu, cet air de dément afficher sur ses traits, marchant parfois peu droit, chantant un air assez triste, batifolant dans la pluie...

Le jeu reprenait.

L'Ange noir ajusta sa longue veste noire, rabaissant sa capuche et se faisant le plus discret possible, se fondant dans l'obscurité. Où allait-elle ? Dans quel but ? Mettre fin à ses jours ? S'allonger quelque part et s'endormir ? Rejoindre quelqu'un ?

Il allait bientôt le découvrir.

Finalement, elle s'arrêta près du bâtiment serti de lierres, inquiétant en ce soir pluvieux. Elle avait cessé de chanter et offrait son visage aux gouttes de pluie. Le jeune homme resta un moment sans bouger, dans l'attente qu'elle fasse quelque chose. Mais elle ne faisait rien.

Alors il s'avança.

Elle l'aperçu

Elle le reconnu.

Un sourire de satisfaction se dessina sur ses lèvres tandis qu'il gardait les yeux rivés sur le sol pour le cacher. Il ne releva la tête qu'une fois qu'il fut à quelques pas d'elle.

« Hye Mi » souffla-t-il, doucement, mais assez fort pour qu'elle l'entende.

Elle lui tournait le dos. Il s'approcha plus encore, afin d'être collé à elle. Il laissa son souffle aller un moment sur sa nuque. Puis, il chuchota à son oreille d'une voix qu'il prit soin de rendre sensuel :

« Content de te revoir..»

Puis il recula, un sourire aux lèvres, attendant sa réponse qu'il avait déjà anticipé..

Spoiler:

L'ombre s'approchait donc. Les aiguilles de la montre tournaient d'une lenteur infâme. Les secondes pourchassaient les secondes, et Hye Mi pouvait les entendre dans sa tête, à chaque pas qu'il déposait dans les flaques d'eau couleur incolore, incolore de vie. Elle les entendait résonner dans sa tête, tout comme elle sentait son coeur battre fort, très fort. Se serrer. Cette douleur aiguisée au ventre. Toute cette frustration. Son visage, elle ne le voyait pas, elle ne voulait pas le voir. Elle fixait l'horizon devant elle. C'était un horizon qui ne présentait pas de lumière, c'était une bien triste existence.

N’approche pas…

Oui, c’est qu’elle est assez indécise, Hye Mi. Il y avait quelques minutes, elle se sentait enveloppée d’un voile de courage, elle était prête à lui dire tout ce qu’elle avait sur le cœur, et peut-être, était-elle-même prête à lui faire ressentir tout le mal qu’elle avait vécu. Et puis maintenant, elle se sentait tremblante et froide, telle une feuille qui voulait être emportée par le vent. Elle n’était peut-être pas lâche jusqu’au point de fuir, mais elle ne souhaitait qu’une chose : qu’il s’en aille.

Mais il s’avançait.

« Hye Mi » souffla-t-il, doucement, mais assez fort pour qu'elle l'entende.

La jeune coréenne sentait son poing se refermer. Elle sentait ses ongles au creux de sa paume, se planter de plus en plus fort. Cette douleur l’empêchait de paniquer, lui permettait de rester calme. Cette douleur lui rappelait qu’elle ne devait pas succomber à ses émotions… Dans son esprit, elle se voyait fondre en larmes, sauter à son cou, lui demander de revenir. Mais était-ce la bonne chose à faire ? Elle n’en savait rien, elle qui côtoyait si peu de personnes. Jusqu’ici, toutes les personnes qu’elles avaient rencontrées étaient toutes très gentilles avec elle. Pas lui. Etait-ce… ce qu’ils appellent de la « pitié » ? Et s’ils étaient tous comme Andreas en réalité ? Une vague d’angoisse venait de s’emparer du corps de Hye Mi.

Assez de tous ces jeux.

« Moi aussi je suis contente de te revoir… »

Continuons à jouer.

« Est-ce ce que tu espères entendre ? »

Sourire. Sarcasme. Andreas savait-il que Hye Mi n’était pas aussi innocente qu’elle y paraissait ? Certes, elle n’a jamais eu personne à qui se raccrocher. Certes, elle semble être une jeune fille perdue et craintive. Mais ce sentiment d’être trahie… Cette frustration… La même frustration que quand se camarades l’embêtaient. C’était cette frustration qui lui permettait désormais d’avancer, de vouloir se dépasser.
Pourtant, le sourire laissait désormais place à des larmes. Ces jeux n’étaient pas faits pour cette fragile fleur. Ces jeux n’étaient pas adaptés à la personne taciturne qu’elle était. Lentement, les larmes roulaient et se confondaient dans la pluie. Qu’allait-il penser désormais ? Ce devait être amusant à voir. Il ne devait pas regretter d’être tombée sur elle, Hye Mi devait être une distraction à la hauteur de ses attentes. Mais plus de fuites, elle ne voulait pas passer pour plus pitoyable qu’elle ne l’était déjà. Elle le regardait droit dans les yeux, le regard à la fois ferme et incertain, un demi-sourire sur ses lèvres.

« Tu t’amuses beaucoup, hein ? » osait-elle demander d’une voix dont elle ne cachait pas l’incertitude et l’hésitation.

Qu’espérait-elle donc ? Qu’il fasse preuve de sincérité maintenant ? Au fond, elle savait que cela ne servirait pas à grand-chose. Qu’il le soit ou non, et quelle que soit sa réponse… elle sentait qu’elle allait finir par tomber dans son piège. Elle sentait que ce n’était pas elle qui menait le jeu. Une petite voix dans sa tête lui disait de fuir, et pourtant…

« Non c’est bon oublie. Désolée. »

De quoi était-elle donc désolée ? Elle-même ne saurait répondre. Au fond, elle voulait juste rentrer, s’effondrer sur son lit, et tout oublier. Une fois pour toutes.