" Quoi, comment, vous voulez savoir à quoi je ressemble ? C'est quoi cette manie de toujours demander le physique d'un adolescent de quatorze ans ? Ne seriez-vous pas un peu pervers sur les bords, par hasard … ? Et quoi, mes cheveux, vous avez un problème avec mes CHEVEUX ?! "

Par mesure de sécurité, la parole sera donnée à son impératrice la joueuse (oui, moi et la modestie, c'est tout une histoire d'amour)
Jeremiah est petit. Ce n'est pas lui qui se prendra l'encadrement de la porte dans la figure, ni même la lampe basse du salon. Il ne dépasse pas de son lit et a même tendance à marcher sur son pantalon. Et si son mètre cinquante-cinq peut paraitre minuscule pour un garçon de quatorze ans, il ne semble pas complexé. C'est une chose qu'il a rapidement accepté, puisqu'après tout, cette taille, il l'a hérité de son père. Et non seulement il rase les pâquerettes, mais en plus, il est chétif. La graisse, on la cherche encore. Quand on le frappe au ventre, ça atteint direct le centre, il n'y a pas le moindre amortis. Ce qui est plutôt dérangeant. Tout d'abord parce que ça lui donne un air de gamin-batonnet, faible, sans force… On le prend pour un moins-que-rien, un obstacle tout juste bon à recevoir une pichenette. Et puis ensuite, parce que c'est pas tip top. En sport par exemple. Il est vraiment le dernier des derniers. Celui qui traine derrière et qui finit par marcher à la course. Enfin. Vous l'aurez compris. De physique, Jeremiah est loin d'être un grand sportif, musclé, hyper beau gosse.

En fait, Jeremiah est pire que ça. Il a des traits fins, des traits de fillettes. Un visage qui aurait appartenir à sa soeur. Si déjà il en avait une. Mais ça, c'est son âge. C'est qu'il n'a pas entamé sa puberté, et si sa taille n'est pas un complexe, ça, ça l'est. Quatorze ans, et il a encore sa vois d'enfant, pas le moindre poil en vue sous les aisselles et rien. Rien. C'est juste un gosse dont le cerveau grandit plus vite que lui. Alors, les "gamin, déguerpis le plancher" et autres "Attendez mademoiselle !" fusent bien souvent, à son grand malheur….
Second complexe, c'est la touffe rousse qui lui sort de la tête. À la hauteur de ses réflexions, les boucles orangés s'emmêlent, lui donnant une masse capillaire pour le moins impressionnante. Et jusqu'à lors, il fut incapable de la dompter. Il se contente de cacher tout ça du mieux qu'il peut sous un chapeau trop large. Si vous voulez le blesser, le petit, c'est là qu'il faut viser. vous êtes sûr de faire un "dans le mille".

Et c'est toujours un gosse. Alors, les fringues, c'est limité. Quand il remplit son armoire, c'est en pensant à ce que sa mère lui aurait acheté. Le matin, il prend ce qu'il passe par la main. Donc, généralement, ce sont des tee-shirts trop larges pour lui, avec toutes sortes de logos plus idiots les uns que les autres, avec un bête jean. L'hiver, c'est anorak orange et gants verts. Obligé et on ne discute pas.

"Et bien voilà, vous êtes contents ? … Pardon ? J'ai de jolis yeux émeraude ? …. Vous êtes vraiment tarés."

Psy — Bonjour, Mr Collins.

Jeremiah — Bonjour, m'sieur.

P. — Ceci est notre sixième entrevue. J'aimerais que tu me parles un peu de ton histoire, si tu le veux bien.

J. — … Mon père est banquier, ma mère avocate. Ils voulaient vraiment un enfant, alors, ils m'ont eu, c'est aussi simple que ça.

P. — Tu peux m'en dire plus … Décris-moi chez toi, des anecdotes, par exemple…

J. — Si vous insistez… C'était une petite maison. On était bien, pas dans un grand luxe, certes, mais on vivait bien. Papa n'aime pas étaler son argent, il est très discret de ce côté-là. Je me souviens surtout de ma chambre, en fait. Elle n'a jamais changé. Peut-être le lit, il a été changé. Peut-être le bureau… Des détails. Mais de mon lit, toujours, je peux voir la fenêtre. J'ai vu sur le ciel. Toujours le ciel. Ca donne envie de s'évader…

Silence.

P. — Et ton premier jour à l'école ?

J. — Je ne m'en souviens pas. Aussi loin que je puisse remonter, j'ai jamais eu d'ami, ça a toujours été comme ça. Je reste à l'écart. Au début, j'étais juste timide. Alors, les autres préféraient m'embêter. Ils… M'embêtaient vraiment. Alors, j'ai appris à répondre et … Bah… (il fait la moue) Ca ne change pas d'aujourd'hui.

P. — Aucun évènement marquant ?

J. — Je suis juste un garçon normal. Enfin, à peu près. J'essaie de faire en sorte que papa et maman soient fier de moi. J'écoute, je suis sage. Je vais avoir 13 ans bientôt, papa prévoit déjà ma bar mitzva et … J'ai l'impression d'être le seul parmi tous mes camarades à le mériter.

P. — … Tu penses beaucoup.

J. — …

P. — Allez, petit bonhomme. Je te laisse. À la semaine prochaine.

J. — Au revoir.


Il quitte la pièce et se mit à courir pour sortir. Il étouffe ici. Il n'en peux plus. Il courrait, courrait… C'est comme ça qu'on oublie de penser. Qu'on ne pense plus, justement. Les idées, elles fuyant avec le vent, en sortant par les oreilles. Ca fait du bien. Tout ce qui lui vient à l'esprit, c'est cette douleur sur le côté, son souffle irrégulier et la chaleur aux joues. Le reste ne compte plus.

Il oubliait les rires des autres, de ces camarades moqueurs. Il oubliait que la guerre était presque, presque, là, que sa bourgade pouvait, demain, être détruite. Que sa tranquillité n'était dû qu'aux désirs des lambdas de faire semblant. Il oubliait tout.

Il ouvrit la porte de sa chambre et la ferma en claquant. Il se laissa tomber sur son lit. Scrch. Il se redressa pour voir d'où provenait le bruit. C'est un papier. Une lettre. Sa mère avait dû la poser. Il la prit, vit son nom et l'ouvrit. Il ne recevait jamais de lettres.

Il n'avait encore jamais appelé, nul part.

Il n'avait jamais vu la mer.