Grand, longiligne, pâle, Neven pourrait être la représentation même d'un beau garçon s'il n'était pas aussi particulièrement étrange. En effet, même si la première impression est souvent plutôt bonne, en s'approchant on distingue des traits, des expressions, des détails qui dérangent.
Ses yeux d'abord. Rouges et profonds, comme deux rubis flamboyants, ils ont mis mal à l'aise la plupart des personnes ayant par mégarde plongé leur regard dedans. Car ses yeux sont des murs empêchant d'accéder à ses pensées. Ils sont toujours neutres ou moqueurs, ne montrant que rarement d'autres émotions. Seule une toute petite étincelle d'intelligence brille dans ses prunelles, comme pour signifier qu'il est bel et bien en train de réfléchir et que sa tête n'est pas qu'un trou noir.
Pour continuer, parlons de ses cheveux. Décolorés et mi-longs, l'adolescent les délaisse un peu, se donnant juste la peine de les coiffer le matin et de les laver quand il faut. C'est d'ailleurs pour cette raison que la plupart du temps on ne voit pas son œil droit. Sinon, pour qualifier la chevelure de Neven, on pourrait dire "désordonnée". Elle ressemble un peu à un nid d'oiseaux, en moins boisée - oui quand même, rassurez-vous, vous ne trouverez pas de branches coincées derrière ses oreilles. Quoique -.
Ensuite, son sourire. Ou plutôt devrais-je dire, ses sourires. Car Neven a à sa disposition une palette de ces expressions qu'il utilise de n'importe quelle façon et à volonté - de toutes les manières, il ne sait faire quasiment que ça -. Le sourire moqueur, narquois, joueur, charmeur, insolent, sarcastique, faussement joyeux, presque véritablement joyeux, figé, sadique, ironique... Bref, tout ça et bien plus encore, au plus grand déplaisir de ses interlocuteurs.
Puis sa démarche. Presque bondissante, il donne toujours l'impression d'être d'excellente humeur et il n'est pas rare que des passants se retournent pour le dévisager. Lorsqu'il est pressé, on a parfois du mal à l'entendre arriver, à cause de ses pas légers ne frappant le sol qu'une fraction de seconde. En revanche, quand il décide de prendre son temps, il est du genre à regarder entièrement l'endroit où il se trouve dans les moindres détails, il est donc extrêmement difficile de ne pas le remarquer...
Enfin, ses habits, étranges au possible et qui détonnent toujours au milieu de ceux des autres. Le jeune homme ne suit aucune règle, il n'a aucune limite en ce qui concerne ses vêtements et n'a qu'un seul but : ne pas être comme tout le monde. Il mise souvent sur la couleur, associant parfois une couleur très vive avec une autre couleur tout aussi chatoyante juste pour son bon plaisir et pour "s'amuser". D'ailleurs, il ne porte jamais deux fois la même chose, de peur de tomber dans la monotonie. Allez savoir comment il fait...
Bref, un sourire constant s'accordant à une voix légère, une démarche joviale inimitable, des yeux rouges perçants et des habits hors du commun. On ne peut pas dire, comme vous avez pu le constater, que Neven soit quelqu'un de commun. Oui, Neven est différent des autres. Neven est Neven.

Une énigme.
Et bien oui, que dire de plus ? Vous vous êtes sans doute déjà retrouvé devant une charade ou une devinette sans parvenir à trouver la réponse. Neven représente avec précision ce fameux point d'interrogation. Pour lui, la vie est un jeu perpétuel. Il s'amuse de vos réactions, rit de vous voir chercher qui il est sans trouver. Il aime vous taquiner, vous agacer, vous pousser jusqu'au bout de vos limites grâce à des remarques subtiles et placées sur un ton léger. Ensuite, lorsqu'il pense que vous êtes allés suffisamment loin, il s'échappe dans la joie et la bonne humeur, vous laissant tout seul avec vos idées noires. Et le lendemain il revient, pour vous relancer une nouvelle fois vers le vide sans que vous puissiez l'approcher. Encore, et encore. Si vous lui résistez, il en sera heureux. Il aime les défis. Puisque pour lui, comme je vous le disais, la vie est un jeu.
On n'a jamais vu de Neven en colère. Ou même triste. Puisque tout le temps, sans interruption, il sourit, dissimulant ainsi habilement ses pensées au monde. Il ne lâche rien, garde tout scellé dans sa tête. Il ponctue souvent ses phrases par un petit rire, ce qui fait que beaucoup de personne ne le pense pas sain d'esprit. Mais pas du tout. Il est étrange, mystérieux, inaccessible, curieux, moqueur, ses paroles sont parfois dénués de sens mais il n'est pas fou comme sa sœur. Il sait se contrôler. Grâce aux bonbons en fait.
Oui, Neven aime les bonbons. Même plus, il les adore. En une journée, il doit en avaler une bonne centaine. Des ronds, des carrés, des triangulaires, des collants, des durs, des mous, des acides, des sucrés, des amers... Il n'a aucune préférence. Il se balade toujours avec un sac de ces petites choses au fond de sa poche, mais s'il voit que vous en possédez il n'hésitera pas à vous en piquer quelques uns au passage. C'est irrésistible, il ne peut pas s'en empêcher. Les bonbons l'attirent, le calme. Il aime les sentir fondre sous sa langue pendant qu'il parle et il fait en sorte de ne jamais en manquer. Que se passerait-il si cela arrivait ? En fait, on ne peut pas le savoir. Parce qu'un Neven sans bonbons, c'est comme une Terre sans ciel. Impossible à imaginer.
Maintenant, pensez que vous êtes en face de lui. Il vous regarde, son sourire étrange aux lèvres. Il ne parle pas, reste simplement debout avec un air amusé, et vous vous lassez. Vous détournez le regard un instant. Infime moment de déconcentration. Et lorsque vous voulez l'observez à nouveau, il n'est déjà plus là. Envolé, comme un oiseau insaisissable.
Comme une énigme sans réponse.

Neven, six ans, août 2001.

Assis sur le tapis de leur minuscule salon, le gamin aux cheveux blancs regardait avec attention son père lire le journal. Aucun des deux ne parlaient, mais il n'y avait aucune tension. C'était un silence chaleureux et apaisant. Pour en profiter davantage, le petit garçon se roula en boule et ferma les yeux. Il avait l'impression d'être dans un cocon de douceur, protégé de tout les malheurs du monde par une fine enveloppe blanche. Il resta comme ça quelques infimes instants avant qu'une voix vienne briser son armure. La voix de son père.

"Eh, petit bonhomme, à quoi tu penses ?"

L'enfant leva ses yeux rouges d'un air sérieux sur l'homme dans son fauteuil avant de répondre, lentement, du ton clair de l'enfance.

"Je me demande ce que je vais faire quand je serais un Grand.
-Tu veux dire, comme travail ?
-Oui. Je trouve pas.
-Tu veux que je t'aide ?
-Si tu veux."

Monsieur McKenzy fronça alors les sourcils, signe qu'il réfléchissait, et posa son pouce dans le creux de son menton. Neven l'observait toujours avec le même regard perçant et en même temps pur qu'on les enfants. Il attendait une vraie réponse. Son père ne le décevait jamais. Finalement, l'homme reprit la parole.

"Il faut que tu fasses ce que tu aimes faire. Suis ton propre chemin et ne laisse personne t'empêcher d'être ce que tu veux être.
-C'est tout ?
-Oui. Tu ne t'attendais pas à ça ?
-Pas trop.
-Tu as compris ce que je t'ai raconté ?"

Avec difficulté, le petit garçon se releva et s'adossa à un des accoudoirs du fauteuil. Il regarda son père droit dans les yeux en souriant. Son esprit fonctionnait très vite, imaginant des millions d'idées à la minute, des plus banales aux plus folles sans qu'aucune ne paraisse irréalisable. Tranquillement il prit un bonbon dans sa petite boîte puis, d'un ton joyeux, il acheva la discussion.

"Oui. Je vais faire ce qu'il me plaît hihi !"


Un sourire moqueur aux lèvres, le jeune garçon plia sa lettre en quatre avant de l'insérer dans une fine enveloppe blanche. Il avait écrit de sa longue écriture oblique que les adultes trouvaient si raffinée. Il voulait faire bonne impression. C'était important pour la réussite de sa vengeance. Evidemment, si ses très chers voisins découvrait que c'était lui et non pas sa très chère sœur qui avait entaillé le bois, tout deviendrait beaucoup moins amusant. Cependant, il ne s'inquiétait pas vraiment. Après tout, n'avez vous jamais remarqué que ce sont les mensonges les plus gros que l'ont croient le plus facilement ? Avec lenteur, Neven emprunta le vieil escalier et commença à descendre jusqu'au treizième étage, marche par marche. Il ne devait pas allez trop vite. Il voulait avoir le temps de déguster son action, comme un bonbon fondant délicieusement sous sa langue. Plus que trois marches. Il commença à s'imaginer avec adulation l'expression horrifiée de son adorable jumelle lorsqu'elle se ferait disputer pour un crime qu'elle n'avait pas commis. C'était grisant. Plus que deux marches. Peut-être qu'elle lui jetterait ce regard dont elle avait le secret, aussi noir que l'abysse et absolument glacial. Celui qui amusait tant le garçon. Plus qu'une marche. Il lui arrachait toujours un sourire plus grand que les autres. L'idée que sa sœur lui en voulait le mettait toujours d'une excellente humeur en fait. Arrivé sur le palier. Enfin debout devant la porte abîmée de l'appartement 101, le jeune homme sentit son sourire s'élargir. L'air de rien, il s'accroupit jusqu'à ce que ses mains pâles touchent le plancher, puis il fit glisser l'enveloppe sous l'entrée et se redressa. Voilà une bonne chose de faite. Habilement, il piocha une sucrerie de sa poche avant de la cacher bien à l'abri dans sa bouche. Il tourna ensuite les talons et repartit en direction des marches grinçantes d'un pas léger.

"... Hihi ♥"


Une salle de classe bondée. Des petits groupes partageant leurs histoires respectives en attendant le professeur, créant ensemble un léger bruit de fond. Au fond de la pièce, les pieds sur la table dans une position très royale, Neven dominait en silence ce petit monde de son regard moqueur. Il aimait bien contempler les personnes et leur trouver des défauts, même infimes, pour passer le temps. De plus, il savait que sa tranquillité n'était que de courte durée puisqu'un groupe de garçons particulièrement ennuyeux avançait dans sa direction. Afin de lui parler sans doute. Qu'avait-il donc bien pu leur faire ces derniers jours... En réalité, il n'en avait aucune idée. Crystal avait toujours des idées étranges, il était difficile de prévoir à l'avance le crime qu'il était censé avoir commis. Quatre ombres vinrent couvrir ses cheveux blancs et une voix tonitruante retentit.

"Eh toi ! C'est toi qui a défoncé ma voiture à c'qui parait ! Connard !
-Plaît-il ?"

Cette face rouge et crispée par la colère... Charmante. C'était d'un banal tout de même... Sa sœur avait quinze ans maintenant, elle aurait pu trouver mieux. Enfin... S'il s'y prenait bien, la réaction de la brute face à lui pouvait être intéressante. Déjà, rien qu'avec deux petits mots, il avait réussi à mettre la chose hors d'elle. C'était un bon début.

"Tu te prends pour qui là ?! Tu sais à qui tu parles ? Tu vas me repayer ma bagnole tu sais ?"

En soupirant, Neven plongea son regard dans celui du garçon. Il voulait lui montrer à quel point il le trouvait pitoyable. Mais avec le sourire et en l'affichant le plus subtilement possible. Comme toujours. Pour répondre, il utilisa ce ton que sa mère utilisait lorsqu'il était un petit enfant. Celui qu'elle employait quand il avait fait une bêtise.

"Hop, doucement, une question à la fois. Tout d'abord, sache que je me prend pour Neven McKenzy car tel est mon nom. Ensuite, je sais précisément à qui je parle, merci. Et pour ta voiture... Un sourire joyeux prit possession de ses lèvres. Il se trouve que je n'ai pas la moindre envie de te la rembourser hihi ♥"

Juste avant que l'adolescent aux yeux rubis se fasse incendier pour la troisième fois, le professeur entra dans la salle et demanda aux élèves de s'asseoir en silence. Parfaitement synchronisé. Heureusement qu'il n'était pas en retard d'ailleurs, Neven n'avait pas vraiment de suite à ce plan. Il n'était pas parfait après tout. Il prendrait le temps d'y réfléchir pendant le cours. Une expression enjouée toujours gravée sur son visage, il toisa sa chère sœur avant de l'ignorer superbement et de regarder le ciel d'azur par la fenêtre. Cette journée était vraiment magnifique. Comme d'habitude. De toute façon, rien ne peut entacher l'humeur de Neven. Du moins, presque rien.


Debout dans sa chambre, une sucette dans la bouche et les mains sur les hanches, le jeune homme attendait que l'occasion de mettre mal en point sa sœur se présente. Pour le moment, tout était calme, mais il savait que le mouvement allait arriver. Il suffisait de patienter un peu. Que pourrait-il faire cette fois ? Il avait envie de quelque chose d'unique, d'original, de fantastique, de...

"Neveeeeeeen, tu peux aller chercher le courrier s'il te plaît ?"

Ah. Dommage, il allait devoir attendre un peu plus. Tranquillement, sans se presser, l'adolescent sortit de la pièce pour entrer dans le salon. Sa mère l'attendait en souriant. Elle souriait toujours d'ailleurs... Peut-être parce qu'elle devait être heureuse pour deux. Monsieur McKenzy n'était jamais de bonne humeur, lui, depuis quelques années. Toujours à ronchonner, à broyer du noir et à tenir des discours pessimistes. Au final, grâce à eux deux, Neven avait appris à mépriser dans la joie et la bonne humeur.

"Les clés sont sur la table."

D'un pas léger, l'adolescent se dirigea vers la porte et attrapa les clés en question au passage. Sa sœur le regardait d'un air narquois, assise confortablement dans son fauteuil, juste à côté de la sortie. Hum, c'était presque énervant. Prestement, il accéléra et frappa le front de sa sœur avant de filer. Le vent froid du dehors le saisit et il se pétrifia un instant. Il n'avait pas été prendre le courrier depuis au moins ses treize ans. Il ne se rappelait pas que c'était aussi agréable... Sentir l'air de la rue entrer dans ses poumons et se propager dans tout son corps, comme un poison inoffensif et doux. Il aimait bien. En riant doucement, il commença à se réciter une comptine qu'il avait apprise à l'école de Sheffield lorsqu'il avait cinq ans, tout en avançant vers la petite boîte rouge près du portail.

"Humpty Dumpty sat on a wall..."

Un passant le regarda fixement d'un air étrange. Neven avait l'habitude qu'on le regarde ainsi, il se contenta donc de saluer d'un geste de la main l'homme et de poursuivre son chemin. La politesse, même ironique, avant tout. Ensuite venait le mensonge et la manipulation. Le garçon tourna autour du portail et se retrouva en face de la boîte aux lettres. Il se souvenait l'avoir abîmé un jour, en voulant attraper un papier par la fente. On voyait encore la petit bosse qu'avait provoqué sa main

"Humpty Dumpty had a great fall."

Minutieusement, il commença à observer les différentes clés du trousseau jusqu'à trouver la bonne. Elle était minuscule et un peu rouillé par le temps, la faire entrer dans la serrure fut un peu délicat. Un déclic se fit entendre, et le battant s'ouvrit sur deux enveloppes colorées. La première d'entre elles portait le nom de Crystal. Un sourire s'étala sur le visage du garçon et il commença à l'ouvrir avec l'ongle de son index. Qui pouvait bien écrire à sa soeur ? En quelques secondes il décrypta le message, qui le laissa perplexe. Il ne comprenait rien. A part le numéro de téléphone, qu'il avait très envie de composer. Tout en continuant de chantonner, il sortit son portable.

"All the king's horses, and all the king's men..."

Un nombre, et puis un autre, et encore un autre. Jusqu'à ce qu'ils soient tous affichés sur le petit cadran lumineux. Les yeux dans le vague, il porta l'appareil à son oreille. Un seul et unique bip se fit entendre. Et Neven eut juste le temps de terminer la comptine avant de s'endormir.

"Couldn't put Humpty together again."


"Héééé, monsieur, c'est toi qui fabrique des poupées ?"

Assis sur un banc dans une des avenues sucrées de Chocolate Town, Neven baissa les yeux sur une petite fille tirant son long manteau. Elle avait de grandes boucles blondes et un regard brillant. La candeur de l'enfance pourrait-on dire. Lentement, le jeune homme se dessina un sourire amicale et répondit avec le plus de gentillesse et d'enthousiasme possible. Il aimait bien les enfants. Quand ils ne pleuraient pas.

"Affirmatif, délicieuse enfant. Mon nom est Neven."

Il pointa ensuite la petite figurine de chiffon installé sur son épaule.

"Et elle, c'est Yume. Yume, dis bonjour.
-Bonjour, hihi ♥."

Les yeux ronds, la fillette le regarda un instant avant de le saluer d'un courbette et de s'enfuir. Elle avait peut-être quelque chose à faire ailleurs... Ou alors elle s'était souvenue que sa maman lui disait toujours de ne pas parler aux inconnus. Son expression joyeuse toujours inscrite sur son visage, il leva la tête vers les toits multicolores de son quartier. Cela faisait maintenant deux semaines que Neven était arrivé sur l'île. Il avait eu le temps de s'habituer à sa plume, ce don qui le rendait encore plus étrange. Et puis il s'était trouvé un travail. Créer des poupées était bien plus intéressant que d'étudier en cours. En plus, il pouvait manger encore plus de sucreries ici. Aucun doute, il appréciait cette nouvelle vie. Moins que Yume et moins que le fait d'énerver Crystal mais il l'appréciait tout de même. Il pressentait, au fond de lui-même, qu'il allait beaucoup s'amuser. La petite fille repassa devant lui en courant. Elle s'était trompée de chemin dans la précipitation. Intéressant. D'un geste souple, Neven prit un bonbon.

Âge : 15 ans

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