Thoai, elle est toute pomponne. Thoai, elle aime s’occuper d’elle. Thoai, malgré son jeune âge, elle passe beaucoup de temps devant le miroir.
Premièrement, il faut coiffer les cheveux. Ca fait mal, quand tu tires fort pour enlever les nœuds. Il faut mettre des produits dessus, pour qu’ils soient lisses et tout doux. Il faut mettre en ordre la frange, qui s’amuse à te cacher la vue pour que tu te prennes un poteau. Il faut aussi attacher les cheveux avec des jolis chouchous de toutes les couleurs, ou avec des barrettes fantaisistes. Souvent, Thoai les coiffe en faisait des couettes, ou en queue de cheval. Elle n’aime pas les cheveux lâchés. Ca gratte le cou, et tu les soulève toujours à un moment ou un autre, pour que ta nuque prenne l’air. En plus, dans son petit crâne d’enfant, elle se dit que les cheveux noirs, ça attire la chaleur. Elle pense donc qu’elle a plus chaud que les autres. Mais ça, c’est dans sa tête. Elle a de très jolis cheveux ébène, qui rappellent ses origines asiatiques. Elle en est fière, mais elle le dit pas ça.
Deuxièmement, il faut soigner sa peau. Sa peau légèrement mâte, qui bronze facilement. Elle sort souvent avec une ombrelle, pour se protéger des « UV », comme disent les grands. En fait, elle ne sait même pas c’est quoi, mais elle imite les célébrités. Avec tout les gels-douches qu’elle utilise, elle a l’épiderme – un mot qu’elle a vu dans le dictionnaire – qui est tout doux, comme de la pêche. Elle aime bien la pêche, Thoai. Et sa peau, elle sent la même odeur que le fruit. Donc, elle est contente à chaque fois qu’elle sort de la douche. Mais ça, elle ne le dit jamais.
Troisièmement, elle doit s’occuper de son visage. Elle veut faire comme les grands, donc elle met du maquillage. Elle met du « mascara ». Du coup, elle a les cils très, trèèès longs ! Ca lui donne un joli regard, elle trouve. Surtout grâce à ses sourcils fins, qui lui accorde un air décontracté. Elle aime beaucoup ses yeux, marrons foncés comme le chocolat. Ca lui donne faim. Elle adore aussi ses petites pommettes toute roses. Elles sont mignonnes, c’est ce que lui disent les gens. Mais elle n’aime pas sa petite bouche. A la télé, elle a vu une dame qui avait une bouche énormeeee ! Ses parents ont dit que c’était moche. Elle, elle a trouvé ça « pratique ». Pratique, parce qu’avec une bouche pareille, elle pouvait manger des tas, et tas de sucreries. Au lieu de prendre un bonbon, elle pouvait carrément prendre un morceau de gâteau. Et, dans son crâne d’enfant, elle trouvait ça bien. Mais elle ne l’avouera pas.
Quatrièmement, elle doit trouver des vêtements qui sont jolis, et qui vont avec son petit corps. Thoai, elle aime les robes avec des motifs de fleurs, de ronds, et de vagues. Elle préfère les couleurs pastel, parce que le sombre, c’est triste. Alors ses parents, ils lui ont acheté pleiiiin de robes à froufrous, aux motifs puérils. Et la petite, elle les aime ces vêtements. Depuis qu’elle est à Esplumoir, elle va toujours les montrer à Alix et Noélia. Elles ont les même goûts, donc elle trouve ça marrant de comparer. Mais elle ne le dira pas à voix haute.

De toute façon, elle ne s'exprimera jamais à voix haute, parce qu'elle est trop timide.

Thoai, c’est dur de définir son caractère. Thoai, c’est une petite adolescente d’onze ans. Thoai, elle n’a pas un caractère d’enfant. Les seuls traits qu’elle a d’enfantin sont sa timidité et sa peur. Elle était tellement craintive qu’elle se réfugie derrière quelque chose, lorsqu’une personne aux allures imposantes lui adresse la parole. Elle évite de parler, avant d’être en confiance. Et, pour combler ses deux critères, la pauvre enfant est agoraphobe. Si elle se retrouve au beau milieu d’une foule, ou devant plusieurs personnes, elle a des nausées fortes, et il lui est déjà arrivé de s’évanouir. Pour laisser de côté sa phobie, sa timidité se manifeste par des rougissements et des balbutiements. Certains aînés la trouvent mignonnes, lorsqu’elle rougit. Elle, elle les trouve flippant.
Passons maintenant à son vrai caractère, celui qu’elle cache derrière ses petites pommettes. Vous n’ignorez sûrement pas que Thoai possède la Plume des connaissances super-développées ? Et bien, cela a refait son tempérament de A à Z. Elle n’est pas comme ces bambins innocents, qui ne connaissent rien de la vie. Elle connaît l’histoire du monde du début à sa fin. Elle connaît les problèmes économiques, les soucis politiques, les complications sociales. Elle saurait vous dire la date de la découverte du nucléaire, créée « grâce » à la formule d’Einstein. Elle pourrait vous réciter tout les textes de Shakespeare, encore faudrait-il qu’elle les ait lus au moins une fois. Thoai, elle sait tout du monde. Mais du haut de ses onze ans, elle n’en comprend que la moitié. Elle est plutôt immature, et n’aime pas partager ses connaissances. Sauf contre des mets ou objets qui l’intéresse…
Le pire dans tout ça, c’est sa façon d’exprimer. Connaissant tout les mots du dictionnaire, elle parle comme une philosophe. Notez que, aux vues de son âge, ça ne fait pas très crédible. Elle s’exprime avec des termes compliqués, sans toujours les maîtriser. De ce fait, elle utilise souvent un ton monotone, hautain. Ce n’est pas voulu, mais ça a déjà vexé des gens. Elle ne le dira pas, mais au fond, elle aime bien avoir le sentiment d’être supérieur…. Mais jamais elle ne le prononcera à voix haute, elle est trop timide.
Thoai, c’est aussi l’aristocratie, les bonnes manières. Elle se tient droite, elle marche élégamment, elle a des petites façons qui font la différence. Quand elle est à table, elle se pose doucement sur la chaise, elle met la serviette sur les genoux, elle ne met pas les coudes sur la table, elle place le couteau à gauche, la fourchette à droite, et après avoir fait tout cela, elle mange en coupant soigneusement ses bouchées. Quand on la voit faire, ça paraît naturel. Mais en réalité, elle l’apprend depuis sa tendre enfance. Elle parle très poliment aussi, notant le respect lorsqu’elle s’adresse aux plus âgés.
Bref, Thoai, elle a rien d’une petite adolescente.

Dans la grande salle résonnait deux battements de cœur distincts. L’un résonnait vivement, tandis que l’autre semblait perdre de sa vigueur à chaque respiration. Il n’y avait personne pour s’inquiéter de leurs cas, et personne pour les aider. Les pulsations régulèrent leurs rythmes, puis s’en suivit des petits cris aiguës. Les deux bambins, n’ayant pas encore pleine possession de leurs mouvements et n’ayant que leur instinct, tentèrent de se réchauffer en se blottissant l’un contre l’autre. Leurs cris attirèrent une vieille femme. Intriguée, elle se pencha au dessus du landau dans lequel ils se trouvaient, et un sourire illumina son visage.

« Venez voir ! Des jumelles, seuls par ce temps glacial ! Aidez-moi à les rentrer à l’intérieur ! »

C’était le commencement de la vie, pour ces deux enfants. Elle avait une santé de fer, l’autre avait une faible constitution. Tout les opposait, et même leur destinée.

« Elle sera Thoai, et celle-ci sera Lin. »


« Ce n’est pas grave, Thoai. Ce n’était pas ta faute. »

Et la petite continuait de pleurer. Ses parents essayaient de le réconforter, mais les larmes ne s’arrêtaient pas. Elle était la seule à être triste, à l’enterrement de sa moitié. Elle était décédée d’une maladie cardiaque, mais pour les adultes, c’était « prévisible ». Pour la jumelle restante, c’était quelque chose d’incompréhensible. Et le plus inconcevable, c’était que ce n’était pas Lin, qui était morte. C’était Thoai. Leurs géniteurs n’avaient jamais sus faire la différence entre les deux, et Lin le comprenait vraiment maintenant. Ou peut-être qu’en réalité, ils ne voulaient pas faire la différence. Pour eux, c’était Thoai qui avait le plus d’importance. C’était la plus faible des deux, mais c’était la plus prometteuse. Elle était intelligente, avait une capacité de déduction hors-du-commun, et assimilait vite ce qu’on lui expliquait. Lin, ce n’était pas son cas. Lin, elle n’était pas très futée, était très immature, et n’avait pas de ressources.

Alors sa mère avait injustement décidé d’effacer cette dernière, pour qu’elle prenne la place de Thoai, et ce contre son gré. La petite n’avait aucun choix, de toute façon. C’était égoïste, mais quelque part au fond, elle concevait ce choix. Elle vivrait au travers de sa sœur, avec qui elle avait tout partagé jusqu’ici. Elle serait l’ombre d’une défunte, rien de plus, rien de moins. Plus jamais elle ne serait-celle qu’elle fut autrefois. Elle avait vécu dix misérables années, et déjà, elle perdait son identité. Son caractère, ses idées, ses rêves, plus rien ne lui appartenait. Pour l’amour de ses parents, elle deviendrait sa jumelle. C’était sa solution, pour une enfant de son âge.


Un an s’était écoulé depuis le drame. Aujourd’hui, c’était jour de deuil. Ils s’attristaient du sort de « Lin », la pauvre enfant morte d’une maladie. « Thoai » vivait encore, sans réellement vivre. Elle attendait un quelconque évènement, quand bien même celui fut la mort. Au fur et à mesure que les jours passaient, la jeune adolescente souhaitait quitter ce monde, pour aller rejoindre sa sœur, ou pour oublier.

Et ce petit « quelque chose » arriva. Un jour où l’envie d’aller chercher le courrier l’avait saisie, son regard s’était penché sur une enveloppe vierge. Pas le moindre timbre, envoyeur ou adresse. Quelqu’un de normal l’aurait jetée, et pourtant, « Thoai » voulait en savoir le contenu. Elle n’avait donc pas attendu d’être chez elle pour ouvrir, et fut surprise par ce qu'il y avait à l'intérieur. Avant que sa raison ait eue le temps de réagir, la jumelle avait son portable en main, et elle composait un numéro. Une douce voix résonna à l’autre bout du fil, et lui demanda son prénom.

« Thoai. Thoai Vi Nguyen. »

C’aurait pu être son occasion pour reprendre son identité. Mais pour elle, toute cette mascarade sonnait tellement faux que la réalité s’était mélangée au mensonge. Elle ne savait plus, au fil des mois, qui elle était devenue. « Lin », « Thoai ». Ces deux noms étaient devenus une partie d’elle-même, pour ne pas dire qu’ils étaient devenus son identité. Elle n’avait plus l’impression d’être la « Lin » d’avant, tout comme elle ne se sentait pas « Thoai » complètement. Pour elle, c’était si compliqué qu’elle avait laissé tomber la logique. Elle deviendrait Thoai, ce serait tout. Et le lendemain, elle avait disparue sans laisser de traces.


« Alix ! Noélia ! On va jouer ? »

Elle était maintenant sur une île nommée « Esplumoir ». C’était une île étrange, où seuls les jeunes étaient présents. Pas le moindre adulte, pas le moindre gamin. Juste des personnes entre 10-20 ans. Ils étaient choisis pour un objet appelé « Plume ». Cette dernière leur conférait un don, et dans le cas de « Thoai », c’était celui des connaissances sur-développées. C’était devenu une encyclopédie vivante, qui parlait un langage décalé. Et pourtant, elle était satisfaite de sa plume.

Elle avait l’impression de ressembler à sa sœur, maintenant.

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