Faith, une jeune fille qui se pensait quasi-inconnue sur l'île. Peut-être est-ce le cas. Combien de personnes la connaissent ? En réalité, tous les habitants d'Esplumoir se connaissent, plus ou moins bien. C'est dire que sur une si petite communauté, à y vivre tous les jours cloîtrés comme des animaux, on finissait par faire connaissance avec pas mal de monde. Un bonjour. Un au revoir. Un regard.
Et, que traduisait son regard ? Prunelle cristal d'océan, un brin de ténèbres et beaucoup de chaleur humaine, les yeux de l'adolescente pétillaient de bonne humeur. Allongée sur son lit, habillée d'une robe blanche (il semblerait que le blanc soit sa couleur préférée — il semblerait également que sa garde-robe soit uniquement composée de robes, dont une majorité aux teints blancs, ou tout du moins, pastels), la jeune Faith regardait par la fenêtre, le visage posé sur ses deux petites mains. Deux petites mains frêles, qui tremblotaient un petit peu. Un petit peu... Un petit peu de malice, dans ses mimiques. Un mignon sourire. Un mignon rire. D'un regard extérieur, la jeune fille passerait sûrement pour une espèce de folle. Après tout, sourire vaguement en l'air ainsi, toute seule. Pourquoi tant d'allégresse dans cette demeure singulière ? Ah oui, cette maison était toute blanche, décorée avec beaucoup de fleurs roses et bleues, des plantes d'un vert éclatant : en fait, même la maison souriait. Et l'on souriait lorsqu'on passait devant. Et bien, pas de raisons particulières, si ce n'est que Faith était heureuse, pour tout... et n'importe quoi. Figurez-vous que le matin même, un passant lui avait dit bonjour. Oui, cela l'a rendu heureuse à ce point. Pauvre Faith. Un bonjour, et un au revoir...

Tant de bonne humeur, il était donc indispensable de la partager. Pour dire vrai, c'est qu'il est impossible de contenir dans un si petit corps tant de sentiments positifs. Ah oui quelle idée. Faith se jetait hors du lit, comme une super héroïne, attrapait son sac, son manteau, s'habillait en bref, et bondit hors de chez elle. Un grand saut, sous un soleil éclatant. Enfin, c'est ce que l'on s'imagine, c'était plutôt un grand saut, sous un ciel gris, un atterissage dans la neige raté, une superbe glissade digne de gags de dessins animés, et...

« Unnn~hhuuu. »

A traduire par "aie".

Bien, et que fait donc une jeune fille par un temps froid ? Elle ne va pas aller discuter avec le premier errant dans les parcs ou dans les rues, et sympathiser comme une petite vieille (en réalité, elle le ferait, pour peu que l'air ne soit pas aussi glacé, au point d'être transformé en glaçon si l'on ose rester trop longtemps dehors). Elle va tout simplement aller chercher de la compagnie dans un endroit au chaud.
Des petits pas, un rythme bien lent, et un air à fredonner.

Et la voilà donc devant la bibliothèque de Bloody Lane. Bloquée un peu devant, ce n'était pas un endroit qu'elle aimait fréquenter. Son coeur se serrait. Son visage se faisait un peu plus sombre. Un nuage maussade venait de la recouvrir, une pluie de pensées qui se cognaient les unes aux autres. Son coeur se serrait. Chaque fois qu'elle passait devant cette bibliothèque, une espèce d'appréhension la gagnait. Elle aimait bien lire. Elle aimait effleurer les vieilles pages des livres. L'odeur inoubliable des ouvrages oubliés. Elle aimait se laisser plonger dans une histoire nouvelle. Rencontrer des personnages, les imaginer, les sentir près d'elle. Sourire au fil des pages, partager les peines, pleurer les souffrances. Elle vivait ce que les personnages ne pouvaient vivre réellement. Mais voilà quelques mois, peut-être déjà une année, peut-être en fait plus, qu'elle évitait ce lieu saint. Elle avait peur. De croiser son frère.
Que ferait-elle si elle le voyait ? Comment pouvait-elle se comporter normalement, dans son état de stress, de panique. Que se passerait-il si un jour, il comprenait ses sentiments ? Horrible.

Et pourtant, elle poussait le porte. Long grincement, long silence. L'air froid pénétrait dans le lieu déjà glacial, de par sa décoration et son atmosphère, et n'osant empirer cette image, elle se glissa vite à l'intérieur. Soupir. Soulagement. Toute timide, ses pas se faisaient incertains, et elle se baissait pour s'incliner légèrement devant les rares présences, pour les saluer, et s'excuser d'interrompre leur lecture. Pas de grand frère en vue ? Nouveau soupir. Soulagement. Son coeur se serrait de nouveau. La vérité, c'était qu'elle mourrait envie de le voir. Bien sûr. Comme c'était mignon.

Alors, elle prenait des livres au hasard. Poussiéreux. Les reposait. Lisait des passages. Les reposait. Et soudain. Un cafard. Elle prenait un livre, feuillerait les pages. Le cafard était juste en face d'elle et se promenait sur quelques reliures. La bête semblait vouloir dire "m'as-tu vu ? huhuhu.. héhéhé". Et ce qui devait arriver, arriva. Faith, inattentive, posa sa main sur le cafard. Cela chatouillait, un peu. Elle retira sa main, fronçant les sourcils.

« Uwaaaaaaaah »

Pourtant, on préférait le silence, à la bibliothèque.

Becky regardait frénétiquement sa montre. Encore une petite heure. Cela ne prendrait que quelques minutes de toutes façons. Arrivée à la frontière qui séparaient dorénavant Feathers Road et Avenue of the Roses, elle cala son épée contre son épaule. Elle l'avait sortie exprès pour l'occasion et espérait bien pouvoir s'en servir. Elle devrait traverser le quartier verdoyant pour atteindre Bloody Lane. Mais ce ne serait pas une tâche simple. Tous les quartiers étaient en état d’alerte depuis qu’ils s’étaient ouvertement déclarés la guerre. La situation ne pouvait pas être plus profitable à Becky. Elle jaugea du regard le point qu’il lui permettrait de se déplacer d’un quartier à un autre sans trop se faire repérer. Parfait. Tout était absolument parfait.

Il se hissa agilement sur la branche d’un arbre, puis grimpa en vérifiant la solidité des fines branches. Une fois en haut, elle attrapa la gouttière et escalada le toit. Et bien, voilà qui était fait. Elle regarda une nouvelle fois sa montre. Elle perdait beaucoup de temps en broutille… Sautant de toits en toits, glissant quelques fois entre les cheminées, salissant sa belle veste rouge. Le tigre s’aventurait par delà les territoires qui lui étaient désormais interdits. Mais cela avait quelque chose d’excitant aussi. A l’horizon, se profilaient déjà les premières ruelles sombres du quartier hanté. Tel était la façon dont elle le nommait. Il n’y avait pas beaucoup de monde dehors, mais ils se montraient particulièrement sensibles aux mouvements. Elle siffla entre ses dents. Ce serait délicat de ne pas se faire voir par des gens aussi nerveux et sur leur garde que les habitants de Bloody Lane. Elle devrait elle-même redoubler de vigilance et de discrétion pour se fondre dans les ombres.

Sa main était solidement refermée sur son épée de bois. Cela la rassurait un peu. Après tout, elle se jetait en terrain ennemi. Elle devait prendre toutes les précautions nécessaires à sa survie. Personne n’hésiterait à l’attraper pour en découdre avec elle. Elle se dit soudain qu’il y avait des jours où elle aurait mieux fait de ne pas embêter tout le monde. Mais qu’est-ce qu’être poli, souriant et gentil pouvait être énervant des fois ! Elle avait une tête de petite fille modèle ?! Non.

En bas, une ruelle. Elle s’y glissa, délogeant un chat noir. Puis, elle se tapit par terre. Un groupe de garçons visiblement beaucoup plus âgés qu’elle passèrent devant l’impasse sombre. Elle regarda si la voie était libre, puis tout en suivant le plan comme convenu, elle se glissa dans l’imposante bibliothèque. Des livres du sol jusqu’au plafond tapissaient les murs. Voilà un charmant endroit qu’elle ne fréquenterait plus après cette petite visite. Le blondinet ne devrait plus tardé maintenant. Elle se faufila discrètement, en comptant ses pas rapides, et mesurant ses pas lents. Drôle de danse. C’est alors qu’elle découvrit une jeune fille, et une petite mélodie lui vint en tête.

« Vous encerclez, vous encerclez,
N'essayez pas s'il vous plaît de nous échapper »

Elle referma ses doigts sur son épée, et la posta de façon à ce que sa petite victime ne puisse pas filer entre ses mains. Elle l’avait sans doute déjà vue quelque part. C’était même incontestable. Un petit sourire satisfait s’afficha sur le visage d’ange de Becky. Elle aimait beaucoup les petites choses mignonnes, surtout quand il s’agissait d’en faire des nouvelles proies.

« Vous encerclez, vous encerclez,
Les enfants qui viennent de perdre le jeu »

Telle était l’une des comptines que Becky avait appris lorsqu’elle était jeune. Les enfants adorent se raconter des histoires qui font peur. Était-ce pour se prouver son courage qu’elle chantonnait maintenant ce petit air effrayant ? En tout cas, c’était très amusant.


La démence s’emparait progressivement d’elle, et dans l’impossibilité de la contenir, maintenant, elle laissait sa bouche déverser tous ces mots étranges. Un langage indescriptible qui manquait d’humanité, de réalité, de bonheur, de chaleur. Les ténèbres faisaient partis de Becky, une trace indélébile de sa tristesse.

« Vous devriez venir jouer avec nous,
Jouer pour toujours avec nous »

Spoiler:

« Où sont passés les livres sur les engrais ? » se demanda Flora, quelque peu agacée.

Elle n’avait pas fait tout ce chemin pour rien ! Certes, Bloody Lane était juste à côté d’Avenue of the Roses, mais, c’est la guerre des quartiers en ce moment. Heureusement que les tensions entre les Winter et les Spring ne sont pas trop… Tendues. Que va devenir Esplumoir si on ne peut plus aller où bon nous semble sans risquer la lapidation, les passages à tabacs et tout le reste ? Surtout qu’il n’y a qu’une bibliothèque sur l’île. De plus, par une ironie du sort, Flora a malencontreusement perdu tous les livres qu’elle possédait sur les sels minéraux concentrés, avec leurs effets sur les plantes. Ce qui était encore plus énervant, c’était qu’ils avaient disparu des rayons de la bibliothèque. La fleur, d’ordinaire si calme, perdait son sang froid. Son cerveau semblait lui dire : « Cogne-toi la tête sur le premier mur venu ! », mais, la jeune fille n’était pas encore devenue masochiste au point de faire tout ce que lui disait sa conscience.

Le moindre souffle, la moindre mouche, le moindre bruit donnait des envies de meurtres. L’atmosphère silencieuse de la bibliothèque devenait étouffante, si seulement une personne avait l’audace de crier sa rage, son désespoir, sa haine de tous ses poumons… Mais cela ne lui ramènerait pas ses livres, Flora le savait trop bien. La jeune fille se ressaisit :

« Je devrais demander à quelqu’un… » pensa-t-elle.

Mais si elle ne tombait pas sur la bonne personne ? Quelqu’un qui découvrirait son identité..? C’était trop tard pour Esplumoir. Tout le monde a des secrets, dont personne ne devrait avoir conscience… On ne s’en sortira pas. Si cela se trouve, quelqu’un avait jeté au feu tous ces livres, dans sa colère. Pauvre de nous. La demoiselle se souvient alors de ce que lui avait dit une mouette, lors de son arrivée sur l’île… Quelque chose comme…

« Tu es sur l'île d'où personne ne peut sortir, l'île pleine de personnes de ton âge. Bienvenue sur Esplumoir, l'île ou tout est possible, l'île pleine de fous ! »

Cette mouette, la jeune fille ne l’avait pas prise au sérieux. Pas du tout. Flora avait eu tord : les prédictions de la mouette se sont réalisées… Soudain, dans la bibliothèque, quelqu’un se mit à chanter. La bibliothèque était un lieu où le silence était le roi. Toute personne civilisée le savait. Alors à Esplumoir, tout le monde n’était pas civilisé ? La fleur chercha d’où venait le bruit, c’est alors qu’elle aperçut une chevelure blonde légèrement rosée… Et si… Oui, c’est elle, pas de doute…

« Faith ! » s’écria Flora, sans le vouloir.

La jeune fille avait de la chance ; personne ne l’avait entendue, du moins le supposait-elle, car l’inconnue chantait si fort que l’on entendait plus rien.

« Vous encerclez, vous encerclez,
N'essayez pas s'il vous plaît de nous échapper »

La fille qui chantait – ou braillait, peu importe – se tenait à côté de Faith : c’était une fille qui paraissait avoir son âge. Elle avait de longs cheveux châtain clair. En bref, c’était une personne qui était normale, bien qu’elle ne paru pas civilisée. Mais ce n’était pas la seule chose qui clochait avec cette fille.

« Vous encerclez, vous encerclez,
Les enfants qui viennent de perdre le jeu »

Dans la main de cette fille, il y avait une épée de bois. Flora n’était pas sûre de bien voir. Elle fixa cette main, tire sur ses yeux jusqu’à la douleur. Comme avait-elle réussi à pénétrer dans la bibliothèque ?

« Avant que la lune ne disparaisse,
Coupez leur cou pendant qu'ils pleurent »

Cette fille était complètement folle. Elle retenait la pauvre Faith, du moins, c’est ce qu’aperçu Flora. L’inconnue était dangereuse et la fleur s’approcha calmement, voulant profiter du moindre moment d’inattention de la sauvage.

« Vous devriez venir jouer avec nous,
Jouer pour toujours avec nous »

Comment fallait-il s’y prendre ? Comment Flora devait-elle faire, face à une frapadingue ? L’inconnue ne semblait plus se contrôler. La fleur, embarrassée, était maintenant derrière la sauvage, et tout le monde la regardait. En essayant de garder son calme, Flora prit le premier ivre qui lui tomba sous la main, qui s’appelait « Biographie de Jack l’Éventreur et d’autres psychopathes » et le mit juste devant le visage de la « diva », tout en tenant l’épée de bois avec sa main libre.

« La bibliothèque est un lieu silencieux. Alors, tais-toi, dit lentement Flora, comme si elle avait peur de trop brusquer la folle. Aussi, tu as souvent des épées de bois sur toi ? Une bibliothèque n’est pas le lieu adapté pour une agression. »

Le visage impassible, la fleur tremblait légèrement des bras, et faisait de son mieux pour que cela ne se voie pas. Serait-elle crédible ? Elle ne regardait même plus Faith. Le visage de la sadique était caché parle livre. Qu’elle serait sa réaction ?