{ Ainsi, c’était ici que tout commençait. Et que tout finissait.
C’était prévu ; il ne resterait dans une heure que des souvenirs tachés de sang.

H-1
La foule hurlait si fort dans les tribunes que Mélusine n’entendait plus rien d’autre que les bourdonnements des cris à ses oreilles. Eux, les vingt-quatre volontaires, étaient les étincelles qui mettraient le feu aux poudres. Mélusine était presque certaine qu’après ces Jeux, tout serait loin de redevenir calme. Les étincelles, aussi minuscules soit-elles, allaient embraser toute l’ile. L’incendie n’était pas près de s’éteindre tant que les vents de la vengeance souffleraient toujours dans les quartiers. C’était de la folie.

Mélusine avait froid.
Ceux qui étaient là, cloîtrés dans leur arène, étaient les plus fous ou les plus orgueilleux. Les suicidaires, aussi, peut-être. Mélusine avait eu un sourire amer à cette pensée. Elle aussi était folle, comme tous les gens de cette ile. Tous fous de voir dans quel cauchemar ils étaient enfermés, sans aucun moyen d’évasion. C’était un éclat d’espoir naïf qui lui avait soufflé de venir s’inscrire à ces Jeux. Maintenant, il suffisait de gagner. Ce serait un jeu d’enfant, n’est-ce pas ? Mélusine tentait d’y croire, fort, fort, fort, comme on s’accroche à ses rêves les plus fous. Mélusine regrettait l’innocence de l’enfance.

Avant l’annonce de l’épreuve, le stade était plongé dans un silence tendu et pesant saturé par l’angoisse. Des barrières de fer séparaient les gradins en quatre zones. Chaque quartier avait sa cage pour éviter les débordements. Parmi les vingt-quatre concurrents, Mélusine en connaissait quelques-uns. Alice et son rêve. « Peut-être que mourir sera la clef, Alice, peut-être. » Mais Mélusine n’osa pas lui dire. La petite Alix, si jeune. Matthew et Aria, avec qui elle riait si souvent, avant. Et puis Becky Bloom, la petite peste qui ne reculait devant rien. Mais il n’y avait plus de temps pour les remords, plus de temps pour les souvenirs, plus le temps pour les états d’âme. Les sentiments étaient pour les faibles dans le stade. Il n’y avait plus que la folie qui ouvre ses grands bras pour qu’on puisse mieux prendre son élan et plonger dedans.

Les règles étaient claires : tue ou crève. Sûrement que personne n’avait prévu cela. Le seul soulagement que ressentit Mélusine fut de ne pas tomber contre des personnes qu’elle connaissait. Elle était plantée au milieu du stade, prise dans son arène comme un lion. Il n’y avait pas d’endroit d’ombre, pas de cachette. C’était grand et plat, tout en herbe. Ce serait vite terminé. Elle n’osa pas se demander si le public allait apprécier de la voir bientôt mourir.

H-H
Lorsque le décompte s’enclencha, tout commença réellement. Mélusine avait une heure. Une heure pour tuer deux innocents, avant de mourir à son tour.

« Reste en vie », songea-t-elle très fort. « Encore un peu. »
Malgré l’ambiance électrique et le soleil, Mélusine était secouée de tremblements incoercibles. Il était étrange de savoir l’heure exacte à laquelle elle allait mourir. Une heure. Trop longue, parce que ce serait une heure de souffrance et trop courte à la fois, parce que ce serait la dernière.
« Je ne verrai peut-être pas le soleil se coucher, ce soir », songea-t-elle et cette pensée lui paralysa tout le corps. Tout sentait l’angoisse autour d’elle, une peur profonde qu’elle ne maîtrisait plus et qu’elle ne pouvait pas repousser. Son instinct de survie avait pris les devants. A cet instant qu’elle n’était plus tout à fait humaine : elle était un animal, désormais. Un animal que l’on traque et qui se bat pour survivre. Pour gagner, il faudrait devenir le prédateur.

Il y avait une fille, June Aria Preston, d’après le tableau. C’était drôle, qu’elles aient le même second prénom. Le garçon quant à lui, s’appelait Léthal, un Bloody Lane. Il avait de beaux yeux violets. Comme elle. Mélusine refoula ses pensées. Il n’était pas l’heure de chercher leurs points communs, mais leurs différences. C’était de la haine qu’il fallait, pas de la compassion. Il ne devait plus avoir une ombre d'humanité dans son regard. Oublier même la définition de se mot. Le renier, l'abandonner. Mais ces pensées-là étaient lourdes, si lourdes ! Mélusine chercha les yeux de ses adversaires, car c’était son point fort. Le corps à corps était sa seule véritable chance de s’en sortir. Elle devait trouver les yeux pour lire les pensées. A ce moment-là, elle aurait un avantage sur les deux autres. Ils devaient s’être repliés sous les tribunes, puisque Mélusine ne les aperçus pas.

« Un chasseur regarde toujours derrière lui. Sinon, il devient la proie. »

Mélusine porta sa main à sa poitrine. Elle senti la courbe rassurante du couteau sous sa veste juste au niveau de son cœur. Si on l’attaquait, elle aurait le temps de dégainer son arme. Personne ne la tuerait sans partir avec elle. Il fallait maintenant élaborer une stratégie. Rapide et efficace. L’attaque a toujours été la meilleure des défenses. Mélusine était prête à tout miser là-dessus.
Une dernière pensée la paralysa.
Cette fois-ci, c'était loin d'être un simple jeu. C'était une question de vie. Ou de mort.